Léon Mitouard. Une soirée à la ferme
17 h. J'ajuste mes gants et mon bonnet avant de sortir. C'est l'heure de nourrir les chevaux.
En ouvrant la porte, l'air frais s'engouffre dans mon cou et fait rougir mes oreilles. Le ciel est bleu. En face de moi, des montagnes enneigées surplombent la vallée. Le cadre est idyllique.
Le hennissement d'un cheval me fait sortir de mes rêveries. Je retrouve Kuku, le fermier ; il me salue, poignée de main, et dit: «Tort Tchaka Charsuluu»: quatre seaux d'orge pour le troupeau de Char Suluu, le mâle dominant. J'acquiesce de la tête et m'exécute.
Au loin, sur une colline, un troupeau. Taylar? (Poulains?), Je demande à Kuku. Ooba.(Oui.)
Dix minutes plus tard, je les vois s'élancer à toute allure, laissant derrière eux un nuage de poussière qui se lève sur l'horizon. Ils arrivent; Je prépare leurs seaux."Uch". (Trois.) Je les aligne soigneusement.
Le ciel passe d'un bleu sombre à un orange profond, la lune et quelques étoiles s'invitent dans le tableau.
Eska, le neveu de Kuku, vient me chercher. C'est l'heure. Le troupeau de Besh, rassasié, quitte lentement l'enclos. Eska les guide vers la colline, leurs silhouettes s'effaçant peu à peu dans la pénombre naissante.
Pendant ce temps, je verse les sceaux d'orge. Derrière la barrière, le troupeau de Tangsuluu attend. Ils trépignent, frappant le sol gelé de leurs sabots.
J'ouvre enfin la porte, je les laisse entrer. Un moment de frénésie, puis le calme revient. Seul le bruissement du grain mâché trouble la quiétude retrouvée de la steppe.
Je retrouve Kuku. Il me sourit puis tend son index vers le ciel. Je suis son doigt, une trace blanche coupe le ciel en deux. Un avion.
Je me retourne vers lui. Il imite un avion, ses deux bras en l'air. Nous rions.
Ici, la présence humaine ne fait pas le poids face à la présence animal. Ni sur terre ni dans le ciel l'humain n'apparait - hormis ce seul avion vu en trois semaines.
Pas de klaxon, pas de musique, pas de vrombissement de moteurs. Seulement le hennissement des chevaux, le meuglement des vaches, le bêlement des moutons ou encore le chant des coqs qui me sort de mon sommeil le matin.
Ici, l'humain se fond dans le paysage, humble face à cette immensité.
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